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M. le président Hervé Gaymard. Notre commission reçoit aujourd’hui trois personnalités du monde de l’électricité, dont l’activité concerne des créneaux qui nous ont semblé mériter une attention particulière, puisqu’ils se rapportent aux nouvelles modalités de la consommation électrique. Nous aurions d’ailleurs pu baptiser le thème de cette rencontre : « Smart homes, smart tariffs »…
M. Grégory Lamotte est président et fondateur de Comwatt, société qui promeut des systèmes d’autoproduction et d’autoconsommation, principalement à partir du photovoltaïque ; M. Pierre Bivas est fondateur de Voltalis, opérateur de l’effacement diffus ; M. Vincent Maillard, enfin, est directeur général « énergie et réglementation » chez Budget Télécom, mais il a été précédemment en charge des questions de tarification au sein d’Électricité de France (EDF).
Le point commun entre vous, messieurs, est de promouvoir des formules de réduction de la facture électrique auprès de consommateurs auxquels vous proposez des services dont le développement reste toutefois incertain, du moins à court terme. Concernant l’effacement, par exemple, la commission d’enquête a recueilli des points de vue très différents, voire divergents. Des représentants de grandes fédérations syndicales du secteur de l’énergie, que nous avons récemment auditionnés, s’opposent même à l’émergence d’opérateurs privés d’effacement rémunérés pour ce service.
Quoi qu’il en soit, un arrêté a été publié le 11 janvier dernier afin de fixer les montants de la prime dont bénéficieront certains opérateurs d’effacement. Un autre arrêté a été pris par la ministre de l’énergie, il y a quelques jours, sur le mécanisme d’obligation de capacité, à la charge des fournisseurs d’électricité.
Messieurs, vos activités sont à la rencontre de ce que l’on nomme les smart grids et des systèmes d’information les plus sophistiqués de l’internet. En cela vos remarques nous intéressent, d’autant plus que de nouveaux services concernant les modes de consommation de l’électricité auront nécessairement des incidences sur les coûts de son usage et, vraisemblablement, sur les tarifications.
D’autres sujets peuvent également enrichir la réflexion, comme celui, plus général, de la décentralisation de la production ou celui, plus précis, des éventuels apports du déploiement du compteur Linky.
Avant de vous laisser la parole, je vous indique qu’aux termes de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, les personnes auditionnées par une commission d’enquête sont tenues, sans toutefois enfreindre le secret professionnel, de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.
(MM. Vincent Maillard, Grégory Lamotte et Pierre Bivas prêtent serment.)
M. Pierre Bivas, président du syndicat professionnel Cathode et fondateur de l’entreprise Voltalis. L’effacement permet d’optimiser la consommation, en l’occurrence de chauffage électrique, donc de la réduire sans diminuer le confort : chaque consommateur peut, grâce à cette solution, économiser de 10 à 15 % sur sa facture, soit quelque 250 euros par an en moyenne. Environ 7 millions de résidences principales sont chauffées à l’électricité en France ; il faut bien en tendu y ajouter les bâtiments publics, les bureaux et commerces, qui représentent 40 % de ce chiffre. Le potentiel total avoisine donc les 10 millions de logements.
Nos boîtiers permettent de piloter la consommation de façon très fine, par exemple en arrêtant un radiateur électrique pendant deux minutes, opération sans incidences pour le confort et génératrice d’économies. L’un des deux boîtiers installés dans le logement communique des données à nos serveurs, ce qui permet de suivre la consommation en temps réel : il s’agit, en d’autres termes, d’une technologie de l’internet mise au service de la consommation électrique.
L’effacement diffus profite également au système électrique dans son ensemble. Il agrège et coordonne des effacements réalisés sur un très grand nombre de sites ; de sorte que toute réduction de consommation apparaît comme une alternative à la production de la quantité d’électricité correspondante. Or notre technologie permet de déclencher un effacement diffus de 100 mégawattheures, de façon beaucoup plus rapide et précise que sur une centrale. Notre réseau d’effacement diffus, équivalant donc à une centrale d’appoint, peut en ce sens être assimilé à une centrale à économies d’énergie.
J’en viens, après le volet technique, à l’intégration économique de ce « mégawattheure négatif » au sein du marché de l’électricité. Aux termes de la directive européenne relative à l’efficacité énergétique, les effacements de consommation participent au marché de gros de l’électricité au même titre que les offres de production. Cette décision, toute simple, permet de proposer des mégawattheures d’effacement en période de pointe. Outre son bénéfice pour l’environnement, une telle substitution tire à la baisse les prix du marché de gros, définis par les ventes de la dernière centrale – la plus chère – dès lors que celles-ci ont vocation à couvrir les coûts. Cette concurrence entre l’économie et la production d’énergie a donc des effets positifs sur les prix.
Or les prix de gros représentent des coûts pour les fournisseurs d’électricité – qui s’approvisionnent auprès des producteurs ou des opérateurs d’effacement –, si bien que leur diminution se répercutera, pour peu que le marché soit correctement régulé, sur la facture du consommateur final. Notre système, la vente à nos adhérents de mégawattheures d’effacement diffus en lieu et place de mégawattheures d’électricité, profite par conséquent à tous les consommateurs.
M. Grégory Lamotte, fondateur et président de Comwatt. La société Comwatt est une start-up spécialisée dans l’internet de l’énergie, et plus particulièrement, en son origine, sur l’autoproduction, c’est-à-dire la production d’une énergie in situ, aussi appelée « énergie potagère ». Cette énergie, qui reste bien entendu d’appoint, représente ainsi et en moyenne 50 % de l’énergie consommée, et même 70 % dans les cas les plus favorables, l’énergie achetée sur le réseau assurant le complément. C’est un peu comme si l’on avait inventé la voile en remplacement du moteur, chacun prenant le relais de l’autre en fonction des conditions climatiques.
Un tel système, hybride, permet de réduire la facture d’énergie hors taxes, facture dont il faut rappeler qu’elle se compose pour moitié des frais de transport et d’acheminement. Le prix des énergies renouvelables a beaucoup baissé, atteignant en quatre ans un facteur quatre pour les panneaux photovoltaïques. Sur une installation simple, d’une puissance de 100 kilowattheures, il est d’ores et déjà possible de proposer une énergie à 8 centimes le kilowattheure : ce prix, qui permet d’amortir l’installation sur vingt ans, s’entend par définition hors frais de transport. Pour l’EPR – Evolutionary power reactor –, le prix s’établit à 11 centimes le kilowattheure mais, pour le coup, il faut bien entendu y ajouter les frais de transport – il en va de même pour l’éolien, au reste –, pour 7 centimes, soit 18 centimes au total.
Que faire, entend-on souvent dire, lorsque les conditions climatiques ne permettent plus la production des énergies d’appoint ? C’est le réseau qui prend le relais ; il représente une sécurité qui suppose bien entendu une régulation au niveau national, et qui donne tout son sens au système de l’effacement.
Nous avons développé un algorithme qui, selon les conditions observées à l’échelle d’un site, d’une région ou d’un pays, permet d’interrompre la consommation de certains appareils pendant quelques minutes ou parfois quelques heures, et ce sans perte de service pour le client final. Nous réduisons donc la facture de nos cinq cents clients grâce à la production d’une énergie locale moins chère et à la protection des réseaux, l’internet de l’énergie permettant une gestion centralisée des appareils, que nous ne faisons fonctionner que lorsque le réseau produit une énergie bon marché. Par le fait, plus le mix français intègre d’énergies renouvelables, plus les fluctuations entre les pointes de production et de consommation sont importantes. En Allemagne, où la production d’énergies renouvelables est sept fois plus élevée qu’en France – avec 35 gigawatts de capacité installée pour le solaire et 35 gigawatts pour l’éolien –, il arrive que l’offre et la demande se déconnectent l’une de l’autre, si bien que l’énergie atteint des prix négatifs sur le marché de gros. Notre solution coûte quelques centaines d’euros ; elle peut s’installer partout en deux heures, et nous pourrions la produire à 200 000 exemplaires : si l’Allemagne l’utilisait, elle ne rencontrerait jamais le problème que je viens d’évoquer.
L’Allemagne a néanmoins pris de l’avance sur la production d’énergies renouvelables, sans toutefois intégrer le problème de la demande ; la France, elle, a développé un savoir-faire en matière de nouvelles technologies de l’information et de la communication (NTIC) et de big data. Ce savoir-faire est reconnu jusqu’en Californie, où mon associé s’est d’ailleurs installé il y a deux mois. L’internet de l’énergie est sans doute le secteur grâce auquel notre pays peut compenser le retard pris dans les machines-outils, que les Allemands ont exporté dans le monde entier. Nous pourrions, de la même façon, exporter notre savoir-faire, d’autant que les problèmes qui se posent en France se posent également dans les autres pays. En Australie, où notre entreprise commence à s’implanter, une banque a réalisé une étude selon laquelle l’autoproduction d’énergie photovoltaïque serait, à l’horizon 2018, moins coûteuse qu’un charbon même à zéro euro la tonne, compte tenu des coûts de transport dans ce vaste pays de 23 millions d’habitants ! Cela conduit d’ailleurs ceux qui investissent aujourd’hui dans le charbon en Australie à s’interroger…
Notre entreprise propose en somme des énergies, non pas renouvelables, mais décentralisées, dans le cadre d’un nouveau modèle économique fondé sur une technologie d’ores et déjà disponible. On observe, depuis plusieurs décennies, une baisse continue du prix des énergies renouvelables ; ainsi, selon la loi de Swanson, le doublement de la capacité de production mondiale de photovoltaïque diminue les coûts de production du kilowattheure de 20 % ; et cela se produit tous les vingt mois, depuis quarante ans. Énergie peu coûteuse, le photovoltaïque est aussi facile à installer ; surtout, il n’en est qu’à ses débuts : même si son développement reste assez lent en France, il a progressé de 30 % au niveau mondial. Les États-Unis, l’Inde, la Chine et le Japon investissent massivement dans ce secteur, dont Barack Obama ne cesse de parler car il a compris qu’il était un vivier de créations d’emploi. D’après une étude de Robert Pollin, de l’université du Massachusetts, 1 million de dollars investis dans les énergies renouvelables créent en moyenne quatorze emplois, contre six dans les énergies conventionnelles – et moins encore dans le nucléaire. Ces technologies, que nous possédons déjà, nous offrent donc de réelles capacités pour l’avenir.
M. Vincent Maillard, directeur général énergie et réglementation de Budget Télécom et ancien responsable des tarifs d’EDF. Nous partageons tous ici une idée simple : la meilleure énergie est celle que l’on ne consomme pas. Dans les années quatre-vingt-dix, un rapport dit Souviron en parlait déjà, mais, depuis peu, des progrès ont été faits.
La France a beaucoup de savoir-faire, notamment en termes d’ingénierie, et elle a aussi inventé les tarifs « EJP » – effacement des jours de pointe –, dont bénéficient encore 500 000 clients : il faut rendre hommage à EDF sur ce point. Les tarifs s’entendent en heures pleines ou creuses, et les cumulus permettent le stockage. Il faut faire fructifier ces atouts.
Il faut également insister sur la convergence croissante entre l’internet et l’énergie, industrie du XIXe siècle dont le mode de comptage est totalement archaïque. Le compteur électrique est en effet relevé tous les six mois alors que le prix de l’énergie évolue toutes les heures : en 2014, il a varié de 97 à moins 2 euros le mégawattheure, et avait même atteint, certaines années, 3 000 euros le mégawattheure. À l’inverse, le signal tarifaire est resté très simple malgré quelques innovations. Or les technologies de l’internet permettent de rationaliser la consommation sur la base d’informations en temps réel, que ce soit à travers des coupures automatiques, selon la solution proposée par Voltalis, ou par ce que nous proposons nous-mêmes. Pour prendre un exemple comparable au relevé semestriel du compteur, comment pourrait-on économiser le carburant d’une voiture si la jauge ne donnait l’information que toutes les six heures ? De même, comment pourrait-on contrôler sa consommation téléphonique si l’opérateur n’adressait un index de la consommation estimée que tous les six mois ?
Notre idée de base est simple : elle consiste à donner à nos clients les moyens d’analyser leur consommation d’énergie. Un compteur émet une pulsation toutes les deux secondes environ ; il est en quelque sorte le cœur du logement. Nos appareils en effectuent un relevé toutes les cinq secondes, relevé qui est ensuite transmis à nos clients, que nous pouvons alors conseiller sur l’optimisation de leur consommation. Les études de la Commission de régulation de l’énergie (CRE) le montrent : une telle prise de conscience permet d’économiser de 10 à 15 % sur la facture.
D’autres mécanismes sont ensuite envisageables, tel l’effacement, auquel l’opposition de certains ne cesse pas de m’étonner. Si l’on peut protester contre la rémunération qui en est faite, il n’en demeure pas moins nécessaire en lui-même. Dans la plupart des pays, les aléas de l’offre et de la demande sur le marché des capacités exposent à des risques de coupure. Le marché français, lui, est dimensionné pour faire surgir ce risque tous les dix ans : le dernier exemple en date remonte à une vague de froid au cours du mois de février 2012. Aucun opérateur, si l’on applique le schéma des « marchés spot », ne peut bien évidemment accepter d’investir en escomptant des profits une fois tous les dix ans. Autrement dit, des mécanismes sont nécessaires ; or l’effacement, solution la plus économique, paraît bien plus judicieux que le développement de moyens de production coûteux : je ne comprends pas que l’on puisse prétendre le contraire – au reste, sans doute cherche-t-on plutôt à entretenir un certain flou sur la question …
L’économie d’énergie, c’est l’énergie gratuite ; mais il est une autre chose qui peut être gratuite et cependant très difficile à obtenir : l’information. Les consommateurs, nous semble-t-il, ne sont pas enclins à accorder leur confiance à un fournisseur qui les conseille sur les moyens d’économiser l’énergie qu’il leur vend ; d’où notre positionnement d’acteur indépendant, qui justifierait de nous ouvrir l’accès aux données d’ERDF, d’autant que nos conseils, dans leur teneur et leur objet, resteraient les mêmes quel que soit le fournisseur. Aujourd’hui la CRE nous oppose la réglementation, qui interdit la transmission des données à tout autre opérateur que le fournisseur. Mais si le client est d’accord avec la transmission de ces données déjà disponibles chez son fournisseur, pourquoi s’y opposer ?
Les deux opérateurs historiques – respectivement de fourniture et de réseau – détiennent une mine de données sur la consommation de leurs clients et son évolution dans le temps : autant d’informations précieuses pour orienter les conseils que nous pourrions donner, à l’instar de certains opérateurs pour les bâtiments d’État. Nous sommes tout à fait disposés à proposer des diagnostics gratuits et complétés, le cas échéant, par des offres de conseil. Pourquoi ne pas décider de cette chose simple, l’accessibilité à des données inexploitées, afin d’éclairer les clients sur leur consommation et de leur faire réaliser des économies ?
Mme Clotilde Valter, rapporteure. Merci pour ces exposés tout à fait intéressants. De quelles données quantitatives disposez-vous s’agissant de la diffusion des nouvelles technologies et de leurs effets concrets ?
L’accès à l’information est en effet une question majeure pour le consommateur, mais celui-ci se déterminera d’abord en fonction des économies d’énergie et de leurs incidences sur sa facture : le droit d’accès aux données, que vous revendiquez, est une façon d’envisager la question ; mais comment faire, en l’état actuel des choses, pour généraliser ces outils, sachant que vous n’avez pas les moyens de les proposer à tous les consommateurs, qui en tout état de cause peuvent décider par eux-mêmes de les utiliser avec une efficacité qui, alors, devient optimale ? Quelles sont les incitations possibles ?
Comment favoriser l’autoproduction chez les entreprises comme chez les ménages ? En vous écoutant, je me disais que ce type de démarche reste quand même le fait de quelques partisans convaincus. Au vu du nombre de cibles potentielles, comment viser au-delà du « club des initiés » ?
Le relevé semestriel du compteur constitue un archaïsme pour ainsi dire caricatural ; j’ajoute qu’il faut, sur des périodes aussi longues, tenir compte des délais de paiement puisque le relevé de consommation peut être sans rapport avec la consommation présente. Cela ne contribue certes pas à éclairer les raisons d’une évolution de la facture dans un sens ou dans l’autre. Dans ces conditions, quelle appréciation portez-vous sur le futur déploiement du compteur Linky et sur les délais de ce déploiement ? C’est aussi l’enjeu de la réactivité du consommateur qui est ici posé.
Enfin, au-delà des seuls constats, quels éléments de sensibilisation pourrait-on apporter au consommateur ? Le consommateur moyen, s’il existe, semble plutôt passif : il n’identifie pas toujours, je l’ai dit, les causes de l’évolution de sa facture. Comment le transformer en acteur de sa propre consommation ?
M. Grégory Lamotte. Selon une étude européenne de l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (ADEME), entre des usagers qui reçoivent un relevé trimestriel et ceux qui suivent leur consommation en temps réel, l’écart en termes d’énergie consommée atteint 10 %. Une autre étude, réalisée par Powermetrix-AFP, montre que l’arrêt complet d’appareils en veille grâce à des systèmes intelligents permet d’économiser de 5 à 6 % supplémentaires.
Nous travaillons, par exemple, sur des systèmes d’alerte permettant aux usagers d’éteindre à distance tel ou tel appareil resté allumé. L’internet rend ces solutions très simples à mettre en œuvre.
Madame la rapporteure, nous disposons d’environ 1,5 million de données quotidiennes, qui nous permettent d’apprécier les économies réalisées par nos clients. Ces données proviennent de nos propres instruments de mesure, non des compteurs d’EDF, ce qui garantit notre indépendance à l’égard des fournisseurs
Mme la rapporteure. Nous avons bien noté les technologies dont vous disposez : ma question portait sur leur diffusion auprès des « consommateurs lambda ».
M. Grégory Lamotte. Il faut en effet faire évoluer les mentalités. Cela passe par la communication, mais aussi par le « signal prix ». À service équivalent, les Allemands consomment aujourd’hui 30 % d’énergie en moins car le niveau des prix, plus élevé, les incite à la vigilance. Si les technologies liées à l’efficacité énergétique ont été moins développées dans notre pays, c’est parce que l’énergie y est moins chère. Le consommateur doit avoir une vision claire de ce qu’il paie aujourd’hui et de ce qu’il paiera dans le futur, afin d’évaluer l’intérêt d’un éventuel investissement : pourquoi investirait-il, par exemple, dans un système d’isolation rentable au bout de vingt ans seulement ? Pour que le consommateur anticipe des gains de pouvoir d’achat, l’horizon doit se situer à moins de dix ans. Cela revient un peu à comparer les situations respectives d’un locataire et d’un propriétaire : lorsque le premier quitte son logement au bout de vingt ans, il n’a rien d’autre que ses quittances de loyer ; le second, lui, possède de la pierre. Investir dans un système d’économies d’énergie ou de production d’une énergie renouvelable, c’est en quelque sorte devenir propriétaire de son énergie : une fois remboursé un prêt généralement étalé sur une période de cinq à huit ans, le produit de l’investissement demeure.
La plupart de gens croient qu’il est illégal d’installer un panneau solaire chez eux, de façon à produire leur propre énergie ; or cela fait quinze ans que la loi les y autorise. Nous avons donc un combat à mener contre ces idées reçues qui ont la vie dure.
Le compteur Linky propose une tarification à l’heure : il incitera donc les usagers à consommer de façon plus intelligente. Que les éclairages et les plaques de cuisson fonctionnent à plein régime à dix-neuf heures, cela se comprend ; mais pourquoi devrait-il en être de même pour les cumulus et les systèmes de chauffage ? C’est un peu comme si les trains à grande vitesse (TGV) n’avaient été conçus que pour transporter les usagers le 1er août de chaque année ! Il serait plus judicieux d’envoyer des signaux sur les tarifs aux heures de pointe, de sorte que le consommateur prenne conscience qu’il paiera moins cher en consommant à d’autres moments, exactement comme un usager du TGV choisit dorénavant son horaire en fonction du prix. En d’autres termes, il deviendra bientôt aussi important de consommer au bon moment que de consommer moins ; tel est en tout cas le pari que nous faisons.
M. Pierre Bivas. Vous avez demandé, Madame la rapporteure, comment il est possible de faire profiter le plus grand nombre de l’effacement diffus. Je répondrai simplement : en le laissant se développer.
Nous avons la capacité d’équiper aujourd'hui en effacement diffus quelque 100 000 logements, ce qui n’est pas rien. Toutefois, il reste encore beaucoup à faire pour équiper des millions de foyers. Or le consommateur lambda est très demandeur : 80 % des consommateurs que nous avons au téléphone nous demandent d’installer le boîtier que nous leur proposons. Cette adhésion massive est due au fait qu’il s’agit d’un boîtier gratuit qui permet de réaliser des économies. Si le cadre réglementaire ne nous empêchait plus d’exister – la loi est en cours –, ce boîtier serait promis à un développement à grande échelle.
Il faut savoir que l’installation de ce boîtier permet aux consommateurs d’économiser 15 % d’énergie sans même qu’il leur soit nécessaire d’être vigilants, grâce à l’information détaillée que nous leur apportons, sous forme de courbes, en termes de kilowattheures et en termes financiers, et qui relègue Linky au rang du Minitel des années 1980. Cette information, disponible gratuitement en temps réel sur internet, est – c’est le plus important – déclinée par usage. Elle permet donc de connaître les éléments qui consomment le plus – par exemple le radiateur de la salle de bains. Linky, dont la technologie sera dépassée avant même d’être déployée, c’est 10 milliards d’investissement gâchés pour la collectivité, qui ne serviront finalement qu’à détruire, chez ERDF, quelques milliers d’emplois liés à la relève des compteurs.
Nous avons pu constater, en étudiant les courbes de plusieurs dizaines de milliers de logements, l’effet nul des tarifs variables, alors même que, comme Vincent Maillard l’a rappelé, ils existent depuis des années en France. Le plus répandu est le tarif « heures pleines-heures creuses », auquel la majorité de nos adhérents ont souscrit. Si la plupart des consommateurs ont doté leur chauffe-eau d’un contacteur, qui n’autorise le chauffage de l’eau qu’au cours des heures creuses, c'est-à-dire essentiellement la nuit, en revanche, ces mêmes consommateurs chauffent leur logement toute la journée à chaleur constante, bien que cela ne réponde à aucun besoin économique ou écologique. Le consommateur aurait en effet intérêt à chauffer moins en heures pleines et davantage en heures creuses, l’inertie thermique du bâtiment permettant d’absorber les variations.
Si donc les tarifs variables avaient un impact, cela ferait des années que les consommateurs chaufferaient moins à dix-neuf heures, qui est l’heure de pointe : or leurs radiateurs chauffent continûment toute la journée, le chauffage augmentant légèrement à la fin de la nuit, parce qu’il fait un peu plus froid dehors. En fait, les radiateurs consomment de l’électricité non pas dans l’intérêt collectif mais au plus grand profit des fournisseurs et des producteurs. Comme les consommateurs se sauraient rester derrière leurs radiateurs toute la journée, le rôle de notre boîtier, à l’instar du contacteur dont sont dotés les chauffe-eau, est de piloter leur consommation pour éviter des dépenses en heures pleines, voire des gaspillages, – un rôle que le compteur Linky ne pourra jamais remplir.
La valorisation de l’effacement sur les marchés de l’énergie permettrait de financer ce pilotage. Nos quelque 100 000 logements ou équivalents permettent d’effacer un peu moins de 500 mégawatts, alors que le potentiel est de plusieurs gigawatts puisque 7 millions de foyers sont chauffés à l’électricité. Or, selon l’estimation médiane de RTE réalisée il y a deux ans, un gigawatt de capacité d’effacement diffus permettrait aux fournisseurs de réaliser 180 millions d’euros d’économies par an, des économies susceptibles d’être répercutées auprès des consommateurs. S’il était possible d’effacer cinq gigawatts, les économies ainsi réalisées sur les coûts de l’électricité atteindraient presque le milliard d’euros. On retrouve les mêmes chiffres aux États-Unis, où la valorisation, autorisée depuis 2011, des effacements sur les marchés de l’énergie permet de diminuer les coûts des fournisseurs au bénéfice final des consommateurs.
Pourquoi des fédérations syndicales de l’énergie seraient-elles opposées au développement de l’effacement diffus, alors que les consommateurs, les fournisseurs et les producteurs eux-mêmes, comme l’a montré M. Maillard, y gagneraient ? La première raison communément avancée est que les économies d’énergie ne constituent pas le premier objectif des vendeurs d’énergie – ce qui rend indispensable l’existence d’opérateurs indépendants. La deuxième, c’est que l’effacement diffus entre en concurrence avec les producteurs, puisque cet effacement est une alternative aux centrales. Or il faut savoir que l’effacement diffus permettra aux producteurs de réaliser des économies, en termes de construction et de d’entretien de centrales de pointe, dont les coûts sont plus élevés que les éventuels bénéfices que ces mêmes centrales leur permettent de réaliser. En fait, la vraie raison tient à la structure du marché. Le plan des fournisseurs secondant largement le plan de l’opérateur historique lui-même, leur intérêt est de piloter le marché pour obtenir une hausse annuelle de 5 % des tarifs. C’est pourquoi nous sommes ravis que votre commission d’enquête se penche sur le sujet. Nous apportons en effet des arguments visant à limiter les coûts et donc une hausse infinie du tarif de l’électricité. Les informations indépendantes que nous apportons aux consommateurs leur permettant de réaliser des économies d’énergie, notre démarche n’enthousiasme pas des organismes dont le métier est de produire et de vendre le plus possible de l’électricité, à un prix de plus en plus élevé. C’est pourquoi ces organismes ne voient pas d’un bon œil les alternatives que nous proposons.
Selon l’ADEME, le chauffage et l’eau chaude entrent pour 80 % dans la consommation de l’énergie. Les 7 millions de foyers dotés d’un chauffage électrique consomment donc cinq fois plus d’électricité que les autres. Ce sont eux également qui contribuent le plus à la formation de la pointe, dont la facture électrique est la plus lourde et qui sont les plus sensibles à d’éventuelles économies d’énergie. Ce sont donc à ces 7 millions de foyers qu’il convient d’apporter les services les plus étendus. Si nous pouvons exercer notre activité, dans le cadre du droit européen transcrit dans la loi française, comme cela est en cours, l’effacement diffus pourra équiper plusieurs millions de foyers en France pour lesquels réaliser des économies d’énergie sera d’autant plus intéressant, que cela ne leur coûtera rien. En revanche, une telle démarche permettra d’économiser les 10 milliards d’euros investis dans Linky, dont les trois quarts seront gâchés puisque Linky équipera, pour les trois quarts, des foyers qui prendront leur part de financement d’un système qui ne leur fera réaliser que d’infimes économies.
Seul le développement de l’effacement diffus permettra de réaliser des économies à grande échelle.
M. Vincent Maillard. Je tiens à préciser qu’on observe des changements dans les comportements en cas d’écarts importants de tarifs : je pense notamment aux tarifs EJP (effacement des jours de pointe) ou Tempo. La solution consiste-t-elle à augmenter les tarifs ? Que faire des bénéfices alors récoltés et quelles seront les conséquences sociales d’une augmentation qui alourdira fortement la charge des clients les plus paupérisés ? Nous ne pensons pas que l’augmentation des tarifs permettra de résoudre tous les problèmes. Il vaut mieux s’orienter vers une meilleure information des clients pour les aider à moins consommer. Il n’est pas besoin d’augmenter constamment les tarifs : provoquer une prise de conscience nous paraît une bien meilleure solution.
Il est vrai que les moyens que nous préconisons tous, ce soir, permettront à nos clients de réduire de 10 % à 15 % leur consommation d’énergie. Il n’en reste pas moins que notre premier objectif doit être de leur donner confiance dans les solutions que nous leur proposons. Or bâtir une telle relation demande toujours du temps car la confiance ne s’accorde que progressivement. Une proposition commerciale à 2,90 euros par mois n’est pas onéreuse. Elle devient rentable si, effectivement, elle permet de faire baisser de 15 % une facture annuelle qui s’élève à 800 euros. Toutefois, le consommateur n’y recourra que s’il est certain du résultat. C’est pourquoi nous sommes favorables à une labellisation des solutions de bon sens que nous proposons et à leur audit. Des organismes publics doivent garantir leur caractère vertueux, notamment en termes d’économies effectivement réalisées.
Je ne partage toutefois pas la vision totalement négative de Linky qui a été apportée ce soir. Pour nous, Linky peut être l’occasion d’aider les clients à mieux connaître leur consommation. En revanche, la rentabilité du dispositif pour la collectivité est un vaste débat, dans lequel je n’entrerai pas.
Les trois organismes que nous représentons se placent du côté des clients : nous souhaitons leur servir d’intermédiaires auprès de leurs fournisseurs. Notre rôle, c’est de les aider à optimiser leur consommation. Le problème, c’est que les fournisseurs ne veulent pas d’un tiers qui se glisserait dans leurs relations avec leurs clients. Je crois toutefois qu’avec le temps ils se départiront d’une attitude aussi stupide et qu’ils finiront par comprendre que l’intérêt commun exige que nous agissions ensemble, d’autant que, en l’absence d’opérateurs français, demain, un Google deviendra partenaire d’EDF !
M. Grégory Lamotte. Ceux qui se tournent vers l’autoconsommation par choix écologique représentent entre 15 % et 20 % de nos clients. La grande majorité y recourt pour des raisons budgétaires. À l’heure actuelle, en tarif bleu, le kilowattheure s’élève à 14 ou 15 centimes, avec une augmentation tendancielle de 5 % l’an. Or l’autoproduction permet de réduire le prix du kilowattheure à 11 centimes, un prix garanti pour les vingt-cinq prochaines années. De plus, l’intérêt économique de l’autoconsommation ne peut qu’aller croissant, puisque le prix de revient des énergies renouvelables est appelé à baisser, alors que l’énergie fournie par le réseau sera de plus en plus chère. Le temps joue donc pour nous.
Enfin, pour passer du Minitel au triple play, il n’a pas été nécessaire de changer le fil de cuivre qui relie votre domicile au réseau. Mettre de l’intelligence dans le signal, voilà ce que nous proposons. Je compare cette forme d’optimisation à l’arrivée de l’ADSL.
M. le président Hervé Gaymard. Je vous remercie pour ce panorama stimulant aux plans intellectuel et politique – au meilleur sens du terme.
Vous avez peu évoqué les pays étrangers : la France est-elle en retard ou en avance par rapport aux autres pays européens ou aux États-Unis ?
M. Pierre Bivas. Si l’effacement industriel est pratiqué depuis très longtemps, c’est l’effacement du grand nombre des consommateurs, qu’on appelle l’effacement diffus, qui présente le plus grand potentiel. La valorisation des effacements a fait l’objet, aux États-Unis, entre 2008 et 2011, de plusieurs décisions du régulateur fédéral de l’énergie (FERC). Les Américains ont adopté dès 2011 l’équivalent de la directive européenne de 2012. L’effacement diffus représente aux États-Unis des dizaines de gigawatts. La question se pose pour la France de savoir si elle veut protéger le plus longtemps possible les technologies et les marges des opérateurs historiques ou si elle souhaite enfin disposer d’un champion national qui soit le plus performant possible, y compris au plan international, en le dotant des technologies de l’internet – notre rôle, à un niveau modeste, est de travailler en symbiose avec les grands acteurs. Le risque, c’est que des opérateurs américains ne finissent, un jour, par s’imposer chez nous !
La France, par rapport à l’Europe, est très en avance dans le domaine de l’effacement diffus, grâce aux travaux que RTE ou nous-mêmes avons réalisés. Elle est le seul pays européen à avoir équipé 100 000 foyers. Développons cette technologie en Europe et ailleurs dans le monde. Pour l’Asie, réguler la demande d’électricité et réaliser des économies d’énergie sont des enjeux majeurs en termes économiques ou environnementaux, de sécurité électrique ou encore de capacité des réseaux. Si nous déployons nos technologies à grande échelle en France, nous serons bien placés pour les déployer également à grande échelle dans toute l’Europe et en Asie. Dépêchons-nous !
De plus, le développement de l’effacement diffus créera entre 2 000 et 3 000 emplois en France. Voltalis s’est engagée à les créer dès lors que la loi, non seulement, précisera – c’est déjà fait – qu’il n’est pas question d’indemniser les fournisseurs pour les économies d’énergie ainsi réalisées, mais tiendra compte également du bénéfice que ces technologies apportent aux fournisseurs – bénéfice que les Américains appellent le net benefit –, en termes de réduction de leurs coûts, une réduction cinq fois plus élevée que ne le sont les bénéfices réalisés par Voltalis ou par les consommateurs. Nous pourrons alors nous déployer partout ailleurs et ainsi développer à la fois l’emploi français et des technologies françaises. Plusieurs millions de foyers pourraient être touchés gratuitement en France d’ici deux à cinq ans par l’effacement diffus.
M. Grégory Lamotte. Les Allemands, qui ont développé l’autoproduction, ont d’abord fait le choix de stocker le surplus d’énergie produite dans des batteries, dont le prix est très élevé – entre 12 000 et 15 000 euros pour une batterie capable de stocker douze kilowattheures, à comparer aux 200 euros d’un cumulus de 250 litres d’une capacité de stockage équivalente. Il est donc plus rentable d’utiliser des cumulus, même avec un kilowattheure à 25 centimes d’euro, d’autant que tous les foyers en sont pourvus.
Nous avons été contactés par la Belgique, dont trois réacteurs sont à l’arrêt et qui craint des coupures d’électricité en période de pointe, d’autant que les interconnexions avec les pays voisins sont saturées. Notre technologie, qui est légère et peut se déployer rapidement à plusieurs millions d’exemplaires, permet de faire jouer la solidarité nationale pour éviter les black-out et, plus généralement, de modifier les modes de consommation pour un prix modique.
Je tiens enfin à évoquer le cas de Saint-Pierre-et-Miquelon, dont les éoliennes, gérées par une filiale du groupe Quadran, ont été démontées l’année dernière. Elles ont été remplacées par des groupes fonctionnant au fioul. Il est en effet plus difficile pour l’opérateur de gérer des éoliennes que de tels groupes. Il est vraiment dommage que la France en soit arrivée là !
Il faut savoir que, par exemple, la part des énergies renouvelables en Corse est plafonnée à 30 %. Un système de gestion du diffus, incitant les clients à consommer lorsque l’énergie est produite et à réduire leur consommation durant les périodes de pointe, permettrait de dépasser ce plafond de verre de 30 %.
M. le président Hervé Gaymard. Les îles et l’outre-mer font en effet l’objet, en matière d’énergies renouvelables, d’une problématique particulière qu’il convient effectivement d’évoquer.
M. Vincent Maillard. L’augmentation de la part des énergies dites intermittentes pose, au plan mondial, la question du stockage intelligent. Recourir à l’eau chaude est, par exemple, une manière intelligente de stocker l’énergie. Il est également possible de la stocker dans le bâti en profitant de l’inertie thermique des bâtiments. Notre objectif est de développer des solutions de bon sens. Les États-Unis ont fait beaucoup en la matière. Quant à la France, elle est pionnière en Europe. Alors qu’un grand nombre d’opérateurs ont fait des offres aux fournisseurs et non aux clients finaux, nos trois organismes sont, au contraire, du côté des clients. Notre positionnement est donc original. Peut-être est-ce l’histoire du système français de l’électricité qui l’explique : tel est, en tout cas, le créneau que nous souhaitons occuper.
M. le président Hervé Gaymard. Messieurs, je vous remercie de ces interventions parfois dissidentes mais très instructives.
——fpfp——
Membres présents ou excusés
Commission d'enquête relative aux tarifs de l'électricité
Réunion du mercredi 28 janvier 2015 à 17 heures
Présents. - Mme Marie-Noëlle Battistel, M. Guillaume Chevrollier, M. Hervé Gaymard, M. Jean Grellier, M. Alain Leboeuf, Mme Viviane Le Dissez, Mme Clotilde Valter
Excusés. - M. Philippe Bies, M. François Brottes, Mme Jeanine Dubié, M. Marc Goua, M. Stéphane Travert